La femme ne bougeait pas. Agenouillée sur son socle de pierre, elle écoutait le brouhaha des touristes qui défilaient par centaines sur la grande place où elle trônait. Les mains posées délicatement sur les genoux, la tête penchée légèrement vers le bas, son visage aux traits lisses affichait un sourire chaleureux. Elle gardait les yeux fermés, sans doute pour mieux entendre ces voix qui s’élevaient dans les airs, telles des bulles qu’aurait soufflées un enfant pour s’amuser. Elle était vêtue d’une longue robe qui lui couvrait les épaules et descendait jusqu’à ses chevilles, une longue tresse épaisse parcourait son dos.
La femme ne bougeait pas. Mais elle entendait. Elle percevait chaque son, chaque mot, chaque murmure et les capturait en elle, les laissait la pénétrer. La place autour d’elle était aussi bruyante que le marché du dimanche matin. Hommes, femmes et enfants de tous les âges circulaient, se croisaient, bavardaient et s’arrêtaient à sa hauteur pour prendre l’une ou l’autre photo à ses côtés.
La femme ne bougeait pas. Elle semblait comme figée dans le temps tandis qu’autour d’elle, la foule s’animait continuellement. Elle pouvait bénéficier d’un peu de répit lorsque la nuit tombait et que les touristes allaient se coucher. Seuls restaient quelques badauds qui profitaient du calme au clair de lune. Mais leur présence n’était bien souvent que de courte durée car une fois leurs derniers verres vidés, la dernière tournée payée, les portes se fermaient et les volaient se baissaient.
Nul ne savait depuis combien de temps elle se trouvait là sur ce socle de pierre, au milieu de cette grande place. L’on disait qu’elle avait été découverte à l’époque des grands explorateurs, lors d’une expédition au cours de laquelle deux hommes s’étaient perdus tandis qu’ils venaient de traverser mers et océans pour atteindre la limite du monde. Ils l’avaient remarquée sur une petite île, isolée de toute civilisation. Subjugués par sa beauté, ils avaient décidé de la ramener, désireux qu’ils étaient de la montrer à leur Roi, leur peuple, l’humanité.
Bientôt, la femme se retrouva seule. Mais elle ne bougeait toujours pas. Dans cette obscurité, seuls les rayons de la Lune lui procuraient un peu de clarté. Et l’on pouvait encore distinguer les courbes délicates de cette silhouette de pierre, aussi sombre qu’un ciel d’orage et aussi solide qu’une montagne. Là, dans la nuit, elle subissait les âges, la neige, la pluie et les tempêtes, la chaleur et l’humidité. Sans jamais broncher. Et jamais personne ne se souciait de cette solitude dans laquelle elle se tenait. Jamais personn ne voyait la larme qui, chaque jour, roulait le long de sa joue, suivie d’une autre, et puis d’une autre encore.
La femme ne bougeait pas. Et jusqu’à la fin des temps, elle restera là, agenouillée sur son socle en pierre, au milieu de cette grande place.
[Image mise en avant : Canva]
[Texte alternatif de l’image mise en avant :
Image d’une pleine Lune au milieu d’un ciel de nuit]